Après plusieurs mois de manifestations publiques, le cours est à la première étape d'un processus judiciaire qui pourrait être long
Est-ce que le nouveau cours d'éthique et de culture religieuse, qui remplace depuis septembre le régime d'option entre l'enseignement moral et l'enseignement religieux catholique ou protestant, peut causer un préjudice grave à des enfants en les exposant à des croyances différentes de celles qui prévalent dans leur famille? Voilà comment on pourrait résumer l'essence de la cause qui se trouvait cette semaine devant le tribunal de Drummondville.
Quelque 2000 parents ont demandé que leurs enfants soient exemptés du cours d'éthique et culture religieuse (ECR) depuis son implantation l'automne dernier. À ce jour, aucune commission scolaire n'y a consenti. Cause-type, une mère de deux enfants, de six ans et 16 ans, a porté ce refus de la commission scolaire Des Chênes devant les tribunaux.
Les détracteurs du cours d'ECR invoquent l'article 222 de la Loi sur l'instruction publique pour exiger une exemption du cours. Cet article stipule que, «pour des raisons humanitaires ou pour éviter un préjudice grave à un élève, la commission scolaire peut, sur demande motivée des parents d'un élève, d'un élève majeur ou d'un directeur d'école, l'exempter de l'application d'une disposition du régime pédagogique».
Pour justifier le préjudice, les avocats de la mère soutiennent que le cours présente un caractère «polythéiste, relativiste et [qu'il] fait la promotion d'un pluralisme normatif», explique un des avocats des opposants au cours, Me Jean-Pierre Belisle, ancien député libéral au Québec et candidat conservateur aux dernières élections fédérales.
«C'est l'autorité parentale qui est le fondement dans ce dossier. Nous n'acceptons pas que, dans une société démocratique, quiconque vienne poser des questions sur les croyances fondamentales des gens», fait valoir Me Belisle.
Celui-ci souligne l'absence de balises relativement à l'application du mécanisme d'exemption, notant par exemple qu'aucun formulaire de demande n'est disponible, pas plus que de marche à suivre quant aux absences motivées par les parents. C'est ainsi que la commission scolaire Val-des-Cerfs a tenté de renvoyer des élèves en raison de leurs nombreuses absences au cours d'ECR (une contestation de cette décision devrait d'ailleurs être entendue par le même juge sous peu), tandis que la commission scolaire des Chênes n'a pas voulu suivre cette voie, fait observer M. Belisle.
Selon les procureurs du gouvernement, qui agissent comme intervenants dans cette cause, les demandes d'exemption «nécessitent une démonstration individualisée et de nature exceptionnelle d'un préjudice grave».
Dans son argumentation écrite, le ministère de la Justice rappelle par ailleurs que le programme d'ECR ne vise «aucune forme d'endoctrinement ou prosélytisme à l'égard de quelque religion que ce soit, laissant aux parents le rôle de transmettre des convictions religieuses à leurs enfants».
Coup de théâtre: le Vatican s'en mêle!
Les prises de position de l'Assemblée des évêques du Québec (AEQ) ont par ailleurs été produites devant la cour. Elles tendent à décourager les exemptions, du moins d'une façon systématique. Dans une lettre envoyée au printemps 2008 à la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, Mgr Martin Veillette faisait part de commentaires sur le contenu du cours au nom de l'AEQ. «Nous sommes conscients qu'il faut un motif très sérieux pour justifier l'exemption d'un programme scolaire. Le motif le plus grave serait sans doute la violation de la liberté de conscience [...] Le programme en lui-même ne nous semble pas prêter flanc à une telle contestation a priori», explique Mgr Veillette, qui laisse néanmoins une porte ouverte à une contestation a posteriori, sur la base de l'expérience.
Coup de théâtre au tribunal, pendant le témoignage d'un expert du gouvernement, les avocats des plaignants ont sorti de leur chapeau une lettre circulaire de la Congrégation pour l'éducation catholique (qu'avait déjà dirigée l'actuel pape avant d'être nommé) encore toute fraîche, datée du 5 mai 2009, qui adopte un point de vue plus tranché sur le sujet. Celle-ci n'a cependant pas été admise en preuve parce qu'elle était trop récente.
Le préfet de la Congrégation pour l'éducation catholique, Mgr Zenon Grocholewski, y tient des propos qui paraissent s'appliquer au nouveau cours, bien qu'ils ne fassent pas référence nommément au Québec. «Si l'enseignement religieux se limite à une exposition des différentes religions de manière comparative et "neutre", cela peut être source de confusion, ou inciter au relativisme ou à l'indifférentisme», écrit Mgr Grocholewski.
Les procureurs souhaitaient ainsi soutenir les prétentions de la mère qui invoque le préjudice fait à son enfant en s'appuyant sur les écrits des hautes autorités de l'Église.
Constitutionnel?
Au-delà de ce débat surréel qui fait intervenir le Vatican dans un tribunal de Drummondville, l'autre angle de contestation juridique possible pourrait s'avérer celui des chartes des droits. L'article 3 de la Charte québécoise garantit la liberté de conscience et de religion (tant aux parents qu'aux enfants) et l'article 41 garantit aux parents le droit «d'assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs convictions».
Or, dans un avis produit l'automne dernier sur la conformité du cours en regard avec la Charte québécoise, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse conclut que les bases d'une contestation du cours dans son ensemble sont très ténues, voire inexistantes.
«On considère que le simple fait d'exposer les enfants à des idées qui pourraient être contraires à celles de leurs parents ne porte pas en soi atteinte aux droits», explique en entrevue au Devoir l'auteur de l'avis, le chercheur Paul Eid de la CDPDJ.
De la manière dont le programme a été conçu, il «évite le piège de l'endoctrinement». «Si on regarde le programme sur papier, les rédacteurs ont fait un beau travail. [...] De notre point de vue, il est clair qu'une contestation en vertu de la Charte est vouée à l'échec, dans la mesure où le programme en lui-même ne comporte pas de biais discriminatoire», indique M. Eid.
Aux yeux de la CDPDJ, des plaintes pourraient néanmoins être reçues dans un cas spécifique, s'il s'avérait que l'enseignement a été mal dispensé de façon à dénigrer une religion en particulier, l'absence de croyance religieuse ou la croyance religieuse en tant que telle. Mais là encore, l'exemption ne serait pas considérée par la CDPDJ comme une mesure corrective appropriée, puisqu'elle ne toucherait qu'un élève et non l'ensemble du groupe.
M. Eid rappelle par ailleurs que l'ancien mode de fonctionnement, soit le choix entre l'enseignement moral et l'enseignement religieux catholique ou protestant, exigeait pour sa part l'emploi d'une clause de dérogation aux Chartes. Cette dérogation permettait en effet de dispenser un enseignement confessionnel spécifique, sans pour autant devoir faire de même pour toutes les religions.
L'ancien fonctionnaire qui a rédigé le programme, Dennis Watters, souligne pour sa part que les enfants étaient déjà exposés à certains éléments d'autres religions avant l'implantation du cours d'éthique et culture religieuse: depuis 1996 pour ceux qui recevaient l'enseignement catholique et depuis 1985 pour ceux qui recevaient une éducation protestante. «Dès la première année, les petits enfants entendaient parler de Bouddha et de Mahomet», indique M. Watters, qui a depuis fait publier un guide sur le cours.
Le juge devait prendre la cause en délibéré hier. Mais une autre cause connexe sera entendue sous peu, soit celle du collège Loyola, qui demande de maintenir un enseignement plus axé sur la tradition catholique.
Parions que les procédures juridiques ne sont pas terminées et qu'il faudra attendre plusieurs années, peut-être jusqu'à un jugement de la Cour suprême, avant de savoir définitivement si le cours d'ECR demeurera obligatoire pour tous.
Source : ledevoir.com