Swami Vivekananda dit un jour à des missionnaires chrétiens que leur diffamation envers l’hindouisme dépassait toute la boue de l’océan. Depuis lors, le fleuve de boue diffamatoire jeté sur l’hindouisme n’a fait que s’accroître. Une nouvelle tactique employée par les Evangélistes, les communistes et d’autres, est d’associer l’hindouisme au nazisme. Le svastika ne dit-il pas tout ? Et le terme sanscrit « Aryen » ? Aha !
Aussi artificielle et mal intentionnée que cette rhétorique puisse être, elle peut trouver un ou deux individus comme exemples d’hindous hitlériens. Dans son nouveau livre, Hitler’s Priestess. Savitri Devi, the Hindu-Aryan Myth, and Neo-Nazism (New York University Press 1998) [édition française: Savitri Devi, La prêtresse d’Hitler, Akribéia 2000, NDT], Nicholas Goodrick-Clarke raconte l’histoire de Savitri Devi Mukherji, une dame franco-grecque qui réalisa une synthèse de son admiration pour Hitler avec sa propre version personnelle de l’hindouisme. Elle était née Maximiani Portas le 30 septembre 1905 à Lyon, en France, fille d’un père grec et d’une mère anglaise. Extrêmement douée, elle devait obtenir une licence en science et un doctorat en lettres. Très tôt, elle développa de fortes sympathies et antipathies politiques, et celles-ci deviendraient les principaux déterminants de son étrange itinéraire, qui inclut l’Inde.
Evolution idéologique
Quand Maximiani fut majeure, elle opta pour la nationalité grecque, et passa plusieurs années en Grèce. En 1929, elle visita la Palestine, où elle fut témoin du conflit naissant entre Palestiniens et colons juifs ; sa sympathie alla aux premiers. L’antisémitisme était une attitude prédominante dans la France d’avant 1940, à la fois à gauche et à droite, et elle s’en était imprégnée très tôt. Amoureuse de la culture grecque ancienne, Maximiani répudia le christianisme, bien qu’en conservant le préjugé antisémite de celui-ci. Sa principale objection au christianisme était son anthropocentrisme, la doctrine selon laquelle Dieu avait confié à l’homme la domination sur toutes les autres créatures. Cette critique de l’anthropocentrisme biblique a été récemment reprise par le mouvement écologique, dont la frange radicale nie que l’humanité ait plus de valeur que les autres espèces. Maximiani rejeta l’amour de l’humanité en faveur d’un vitalisme éthique qu’elle trouva dans le national-socialisme, avec « son échelle de valeurs, centrée non sur ‘l’homme’ mais sur la vie ».
A partir de son idéal de l’« hellénisme », elle se réorienta vers les doctrines « aryennes » propagées par les nazis. Depuis Charles Darwin, la culture était vue par beaucoup comme un simple effet de la qualité biologique, et par conséquent la famille des langues indo-européennes était identifiée avec une hypothétique race aryenne. L’« aryanisation » linguistique de l’Inde par les envahisseurs aryens blancs venus d’Europe formait un cas d’école complet de tout ce que représentait la vision du monde raciste à venir :
- d’abord, les Blancs avaient exprimé leur dynamisme naturel en voyageant vers les horizons lointains, à la différence des peuples indolents à la peau sombre qui ne quittent jamais leurs rivages ;
- ensuite, les Blancs ont prouvé leur supériorité en subjuguant les indigènes à la peau sombre ;
- puis, avec leur saine conscience raciale, ils avaient tenté de préserver leur pureté raciale en imposant le système des castes à eux-mêmes et aux natifs, empêchant autant que possible les mariages mixtes entre conquérants blancs et natifs de couleur.
- mais malheureusement, un certain mélange racial eut tout de même lieu et transforma les envahisseurs blancs en métis à la peau brune, leurs qualités intellectuelles et militaires se détériorèrent, et ils devinrent une proie facile et légitime pour les colonisateurs européens qui avaient préservé leur pureté raciale.
De cette façon, la Théorie de l’Invasion Aryenne (TIA) fut la pierre d’angle de la vision du monde raciste moderne. Comme Savitri Devi le raconta elle-même : « Dans le Troisième Reich, même les enfants des écoles savaient d’après leurs livres de classe que la race aryenne s’était répandue du Nord vers le Sud et l’Est, et pas en sens inverse ». Elle croyait aussi en l’annexe à la TIA, selon laquelle la caste est un système d’apartheid racial, avec les envahisseurs aryens comme castes supérieures et les « aborigènes » comme castes inférieures.
La connexion hindoue
Utilisant l’argent que son père décédé lui laissait, Maximiani se rendit en Inde et, excepté deux brèves interruptions, elle devait y rester de 1932 à 1945, et à nouveau en 1957-60 et en 1971-81. Elle étudia l’hindi et le bengali à l’école Shanti Niketan de Rabindranath Tagore, et voyagea autour du pays. Se sentant prête à faire face à une audience indienne, elle offrit ses services en tant que prédicatrice anti-chrétienne à la Mission Hindoue de Swami Satyananda à Calcutta. En 1937-39, sous son nom hindou de Savitri Devi [« déesse du soleil », NDT] , elle fit le tour des villages tribaux et fit organiser par les chefs des débats publics entre elle et les missionnaires locaux. Parfaitement familiarisée avec la mentalité et les méthodes de ses adversaires, elle pouvait détruire le crédit de la religion importée dans l’esprit des villageois, et empêcha ou défit de nombreuses conversions.
Il y avait une violente contradiction entre ses propres convictions racistes et anti-égalitaires et le programme réformiste et égalitaire de la Mission Hindoue. Pour la Mission Hindoue, l’hindouisme était une valeur en soi ; pour Savitri Devi, il n’était qu’un instrument de sa race aryenne imaginaire. Durant ses années de prédicatrice, elle garda ses préoccupations non-hindoues pour elle-même, mais dans ses mémoires (Souvenirs et Réflexions d’une Aryenne, Delhi 1976), elle déclara qu’elle concevait sa mission de reconversion comme un exercice de tromperie : « Du point de vue aryen raciste, il était nécessaire de donner aux aborigènes les plus arriérés et dégénérés une (fausse) conscience hindoue ».
En opposition avec les nationalistes hindous, mais en accord avec les marxistes et les castéistes indiens, elle pensait que le concept de « nation » et le programme du « nationalisme » ne pouvaient pas s’appliquer à l’Inde. En 1938, elle utilisa le slogan : « Faites de chaque hindou un nationaliste indien, et de chaque nationaliste indien un hindou ». Dans son autobiographie, cependant, elle rejeta ce slogan sous prétexte qu’une « nation » pouvait être constituée seulement d’individus racialement similaires, non de communautés racialement distinctes, ainsi qu’elle considérait les castes. Pour les activistes hindous authentiques, cette position est scandaleuse. Elle exprime exactement les motifs que les auteurs anti-hindous attribuent erronément au nationalisme hindou, parce que ces motifs dérivent logiquement de la théorie raciste des castes que les castéistes et marxistes indiens partagent avec Savitri Devi, mais qui est rejetée par l’avant-garde hindoue.
En tous cas, elle donna son assentiment à des affirmations couramment faites dans la littérature anti-hindoue, par exemple :
- L’islam et le christianisme sont des religions d’égalité ;
- les convertis de l’hindouisme à l’islam ou au christianisme ont été attirés par l’égalitarisme sans castes de ces religions ;
- l’Inde n’est pas et n’a jamais été une nation.
Ce sont exactement les idées propagées par les communistes indiens et les missionnaires chrétiens. Avec des amis comme Savitri Devi, l’hindouisme n’a pas besoin d’ennemis.
Cependant, les positions citées furent émises seulement dans les derniers écrits de Savitri Devi, pas dans la période d’avant-guerre où elle fut en contact avec des leaders hindous incluant Subhash C. Bose et G.D. Savarkar, frère de V.D. Savarkar et auteur d’un avant-propos à sa brochure A Warning to the Hindus [Un avertissement aux hindous], (Calcutta 1939). Sa rencontre la plus conséquente fut avec le Dr. Asit Krishna Mukherji, le seul Indien qui pouvait honnêtement être décrit comme un nazi. De nombreux hindous étaient enthousiasmés par le défi de Hitler à la domination mondiale britannique, mais Mukherji était le seul ayant une connaissance sérieuse de la doctrine nazie. Il avait étudié l’histoire à Londres et voyagé en Union Soviétique, mais son intérêt était attiré par le nouveau discours racial, établi comme doctrine d’Etat en Allemagne en 1933. En 1935-37, il publia un bimensuel pro-nazi, le New Mercury. Savitri Devi le rencontra le 9 janvier 1938, et leur conversation s’orienta immédiatement vers la doctrine nazie, particulièrement vers ses prétendues racines ésotériques. D’après Goodrick-Clarke, Mukherji fut un adepte précoce de la croyance populaire selon laquelle la Société de Thulé, l’un des nombreux clubs politiques réactionnaires de Munich vers 1920, était une « société initiatique secrète derrière le mouvement politique visible du national-socialisme ». Dans une publication antérieure, The Occult Roots of Nazism [Les racines occultes du nazisme], Londres 1992), Goodrick-Clarke lui-même a remis ces mythes à leur place et démythifié les « ‘faits’ complètement faux concernant la puissante Société de Thulé, les liens nazis avec l’Orient, et l’initiation occulte de Hitler » .
Après le début de la guerre, Savitri Devi risquait d’être expulsée d’Inde, donc Mukherji proposa de l’épouser. Elle décrivit cela comme un mariage chaste, conclu uniquement pour des raisons de passeport. La chasteté dans le mariage peut avoir convenu à Mukherji en tant qu’adepte des pouvoirs yogiques conférés par l’abstinence sexuelle. Son épouse, par contre, avait l’esprit très ouvert et avait une approche facile de la sexualité et avait eu des aventures avec des hommes aussi bien qu’avec des femmes.
Mukherji joua un rôle-clé dans les contacts entre Subhash C. Bose et les représentants de l’Axe. Il espionna aussi pour les Japonais pendant la guerre, mais il y a des indications selon lesquelles il aurait été un agent double, ce qui expliquerait pourquoi il ne fut pas inquiété même quand Calcutta était le centre nerveux des opérations anglo-américaines contre le Japon. Savitri passa les années de guerre à écrire des livres sur le Pharaon Akhenaton (vers 1383-66 av. JC), le premier prophète connu du monothéisme. Elle le choisit comme sa déité préférée dans sa pratique de la Bhakti, après qu’un bijou qu’elle acheta à Delhi ait montré un symbole solaire connu d’après les inscriptions d’Akhenaton ; elle prit cela comme un signe divin. Elle avait adopté le yoga dévotionnel lorsqu’un maître du yoga avait jugé que ses nerfs ne pourraient pas supporter la discipline de formes de méditations plus directes.
La connexion nazie
Après la guerre, Mukherji gagna sa vie comme astrologue jusqu’à ce qu’il tombe malade et fasse un jeûne jusqu’à la mort en mars 1977. Son épouse retourna en Europe pour un « pèlerinage » dans l’Allemagne dévastée. Elle commença à distribuer des tracts pro-nazis et fut arrêtée pour cela par les autorités britanniques. Condamnée à trois ans de prison [en avril 1949, NDT], elle se lia d’amitié avec ses codétenues : d’anciennes gardiennes des sections féminines des camps de concentration. Les souffrances des vieux nazis sous la répression alliée formèrent le matériel de son premier livre ouvertement nazi, Gold in the Furnace [L’or dans la fournaise] (1949) : elle voyait dans la défaite de 1945 un simple test pour les vrais hitlériens, qui en sortiraient endurcis et finalement victorieux.
Savitri Devi glorifia Hitler en tant qu’« homme contre le temps » qui tentait d’affirmer les vertus « aryennes » contre la dégénérescence des temps modernes. Dans son livre le plus important, The Lightning and the Sun [La Foudre et le Soleil] (1958), elle le voyait comme le troisième membre d’une trinité historique : Akhenaton, le premier monothéiste, le « soleil » ; Gengis Khan, le plus grand conquérant, la « foudre » ; et Hitler, qui combinait la profondeur philosophique du Pharaon avec les prouesses martiales du Khan …
En 1960, après une décennie de pérégrinations, durant laquelle elle utilisa souvent son nom de jeune fille pour entrer dans des pays où « Savitri Devi » était sur liste noire, elle s’installa en France, où elle gagna difficilement sa vie comme enseignante, s’attirant occasionnellement des ennuis en exprimant en classe des négations de l’Holocauste. Après 1969, elle eut droit à une petite pension, juste assez pour pouvoir vivre en Inde. En 1982, déjà incapable de lire ou de marcher sans aide, elle se préparait pour une tournée de conférences en tant qu’invitée du Parti Nazi Américain. En route pour les Etats-Unis, elle séjourna dans la maison d’une amie près de Londres, où elle tomba malade et mourut d’un arrêt cardiaque pendant son sommeil. Ses cendres furent transférées à Arlington, en Virginie, où le Parti Nazi leur donna une place d’honneur dans son reliquaire.
Vues sur la religion
Une observation qui émerge des écrits idéologiques de Savitri Devi est qu’elle avait une vision plutôt confuse de la religion. Si elle s’opposait à la destruction des temples païens par les chrétiens, pourquoi vénérait-elle Akhenaton, le premier destructeur connu de temples, le premier adepte connu d’un seul dieu intolérant vis-à-vis des autres ? Pourquoi exalta-t-elle Gengis Khan ? Pourquoi persista-t-elle dans la haine chrétienne des juifs, alors que le dernier empereur païen de Rome, Julien l’Apostat (à qui elle dédicaça A Warning to the Hindus), préférait les juifs aux chrétiens et prévoyait de reconstruire le Temple juif de Jérusalem ?
La vision de la dimension religieuse de l’hitlérisme par Savitri Devi était tout aussi fantaisiste. Elle écrivit que le nazisme avait la « capacité de devenir très rapidement, dès qu’il serait associé à des rituels, une religion véritable ». Mais Hitler lui-même s’opposait à ceux de ses fidèles qui rêvaient d’une nouvelle religion. Dans Mein Kampf, il affirma que le mouvement nazi n’était pas « une réforme religieuse mais une réorganisation politique du peuple allemand », et qu’il était « criminel de tenter de détruire la foi acceptée d’un peuple tant qu’il n’y avait rien pour la remplacer ».
Hitler adopta une vision purement instrumentale de la religion. Il appréciait le christianisme parce qu’il inculquait les valeurs familiales (bonnes pour le taux de natalité), l’antisémitisme et l’obéissance à l’autorité ; pour son rôle historique dans l’unification des tribus germaniques sous Charlemagne ; et pour avoir agrandi l’Allemagne vers l’Est sous les Chevaliers teutoniques. D’un autre coté, il était irrité par l’opposition chrétienne à sa politique eugéniste, c’est-à-dire l’euthanasie appliquée aux handicapés. Pour ces raisons, et à cause du rôle destructeur que la religion avait joué dans l’histoire allemande (la guerre religieuse de Trente Ans en 1618-1648 tua un tiers de la population allemande), Hitler suivit la politique des dirigeants allemands comme Frédéric II [de Prusse] et Otto von Bismarck qui avaient sagement laissé la religion à l’écart de la politique. Son engagement n’était pas pour une religion, mais pour le peuple allemand. Dès le début de son règne, Hitler apaisa mais marginalisa les Eglises chrétiennes avec un Concordat, et dissout toutes les organisations néo-païennes. Après l’étrange départ de son adjoint Rudolf Hess, un végétarien féru de bouddhisme, il avait fait arrêter tous les religieux non-conventionnels parce que l’événement confirmait son soupçon que les chercheurs de spiritualité n’étaient pas dignes de confiance. Bien qu’il soit resté nominalement un catholique romain jusqu’à la fin de sa vie, on doit se rappeler une chose le concernant : Hitler était un séculariste.
La théorie aryenne
Considérant les connotations douteuses de la Théorie de l’Invasion Aryenne et de son annexe raciste des castes, il est remarquable que Nicholas Goodrick-Clarke partage entièrement avec Savitri Devi la croyance en l’invasion aryenne et la théorie raciale des castes. La TIA a été le paradigme dominant pendant plus d’un siècle et l’est encore, donc on peut pardonner à un non-spécialiste de l’accepter sans esprit critique. Par contre, la théorie raciale des castes est aujourd’hui une doctrine marginale, soutenue seulement par des gens ayant un programme politique : elle est adoptée par les racistes blancs en Occident et par les séparatistes ethniques en Inde, fortement soutenus et encadrés par les missionnaires chrétiens.
Goodrick-Clarke ne conteste jamais la vision des castes de Savitri Devi, un système d’apartheid racial résultant de « l’invasion aryenne », en réalité une projection de la situation coloniale du 19ème siècle sur le passé. Mais dès 1948, l’intellectuel marxiste O.C. Cox rejeta la projection du préjugé moderne de la race sur les anciennes cultures : « Les premiers Indo-Aryens ne pouvaient pas plus penser en termes modernes de préjugé racial qu’ils ne pouvaient inventer l’aéroplane ». La même année, le leader Dalit, le Dr. Bhimrao Ambedkar, récapitula les découvertes de l’anthropologie physique pour conclure que « les brahmanes et les intouchables appartiennent à la même race ». Il semble que Goodrick-Clarke n’ait pas eu connaissance de ce travail de démythification.
Nicholas Goodrick-Clarke ne voit rien d’historiquement faux dans l’éloge romantique du héros hindou Rama par le poète français Charles Leconte de Lisle (1818-94), entiché de l’Orient : « Toi dont le sang est pur, toi dont la peau est blanche, (…) resplendissant dompteur des races profanes ». Il cite cela d’après les fréquentes références de Savitri Devi à ce point d’ancrage de ses convictions aryennes, et semble partager sa croyance que Rama était un raciste aryen blanc dont la campagne contre Ravana symbolise la conquête aryenne de l’Inde du Sud dravidienne. Mais dans le Ramayana, l’ascendance de Ravana remonte au sage védique Pulastya, celle de Rama au patriarche aryen pré-védique Ikshvaku. Ce fut un combat entre deux Aryens, tous deux à peau sombre.
Hitler contre le nationalisme hindou
Dans sa description du mouvement nationaliste hindou des années 30 et 40, Goodrick-Clarke dépend de sources secondaires et hostiles. C’est peut-être pour cela qu’il oublie de mentionner la profonde séparation entre Savitri Devi et les nationalistes hindous après 1940. Bien qu’il admette que « le succès ultérieur du nationalisme hindou après la Seconde Guerre Mondiale ne fait pas partie de l’histoire de Savitri Devi », il prétend généralement que le nationalisme hindou est l’incarnation actuelle de l’idéologie de Savitri Devi, un « racisme des castes supérieures » qui cherche à « restaurer l’autorité des castes supérieures ».
Etant donné le réformisme de l’Hindutva, il est compréhensible que la liaison de Savitri Devi avec le mouvement n’ait pas duré longtemps. Dans ses mémoires, elle déplore que l’Arya Samaj réformiste ne partage pas son enthousiasme pour l’inégalité des castes : « L’Arya Samaj n’est aryen que de nom, car il rejette la hiérarchie naturelles des races ». Ce qui est ici en jeu est la politique arrogante des Occidentaux, d’abord pour s’approprier le terme culturel Arya et déformer sa signification dans un sens raciste, ensuite pour protester quand les hindous ne respectent pas ce nouvel usage déformé. Un autre passage déplore : « Combien d’hindous y avait-il parmi les castes aryennes qui, comme Sri A.K. Mukherji, comprenaient pleinement la signification profonde de l’hitlérisme, et le soutenaient pour cela ? Très peu, certainement ! »
Que beaucoup d’hindous ordinaires aient admiré Hitler mérite une explication. Un sérieux défaut du caractère hindou est que toutes sortes d’individus suspects sont facilement accueillis au sein du pluralisme hindou. Pour eux, la simple vision de quelqu’un, n’importe qui, rendant un culte à une idole, n’importe quelle idole, est suffisante pour respecter la même idole. Quand les hindous glorifient Jésus ou Mahomet, tous les sécularistes indiens et tous les observateurs occidentaux de l’Inde applaudissent cet exercice de sentimentalisme stupide comme étant « séculier », comme une « défaite des forces communautaires ». C’est exactement la même psychologie, le désir de plaire aux non-hindous et d’exulter avec eux dans leur adoration d’idoles non-hindoues, qui égara certains hindous crédules au point de leur faire glorifier Hitler.
Dans le même temps, de nombreux nationalistes hindous s’opposaient à Hitler. Savitri Devi notait avec indignation que Sri Aurobindo soutenait l’effort de guerre britannique contre les nazis pour des raisons idéologiques, comme lorsqu’il déclara : « L’hitlérisme est la plus grande menace que le monde ait jamais connue – si Hitler gagne, pensent-ils que l’Inde ait une chance d’être libre ? C’est pour deux raisons que je soutiens les Britanniques dans cette guerre : d’abord dans l’intérêt même de l’Inde, et ensuite pour le salut de l’humanité. Hitler représente des valeurs diaboliques ». V.D. Savarkar, loin de soutenir l’effort de guerre allemand (comme le dit erronément Goodrick-Clarke), appela les jeunes hommes hindous à rejoindre l’armée britannique et à acquérir l’expérience du combat dans la bataille contre les puissances de l’Axe. En 1948, il fut le seul leader du combat pour la liberté de l’Inde à accueillir chaleureusement le nouvel Etat d’Israël, qui a depuis lors joui de la sympathie du mouvement de l’Hindutva, mais qui était le mal incarné pour Savitri Devi. Pas surprenant que dans ses mémoires de 338 pages Savitri Devi refuse de mentionner même une seule fois les leaders et les organisations de l’Hindutva.
L’utilité de Savitri Devi
Le livre de Goodrick-Clarke, La prêtresse d’Hitler, sera utilisé comme un bâton pour battre le nationalisme hindou. Avec lui, beaucoup de « sécularistes » entretiendront avec enthousiasme la confusion incarnée dans la notion de « mythe hindou-aryen », c’est-à-dire que le concept raciste européen « Aryen » a été emprunté comme tel à l’hindouisme. Maintenant que toutes les prédictions hystériques concernant la mise en œuvre de futures politiques nazies par le gouvernement du BJP se sont révélées complètement exagérées et calomnieuses, ce livre sera employé dans une tentative de composer une réalité avec les fantaisies hitlériennes personnelles d’une malheureuse femme.
Les hindous auraient besoin de fonder leur propre ligue anti-diffamation. Une telle organisation pourrait poursuivre les groupes néo-nazis pour utilisation frauduleuse de symboles hindous comme le svastika et le terme Arya. Elle pourrait aussi publier des réfutations au message trompeur et diffamatoire contenu dans des publications comme le dernier livre de Goodrick-Clarke.
Belgique, 16 novembre 1998
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