mercredi 3 juin 2009

Lars von Trier : «“Antichrist” est ma thérapie»

·Le dernier film de Lars von Trier conte l'histoire d'un couple endeuillé par la perte d'un enfant. Crédits photo : AP

INTERVIEW - Le cinéaste danois est de retour à Cannes pour la huitième fois.

Comme d'habitude, il est venu du Danemark à Cannes au volant de son motorhome et s'est installé dans le plus sélect hôtel de la Côte, celui du Cap d'Antibes. «Trois jours de voyage en choisissant les meilleures étapes», avoue malicieusement Lars von Trier, tee-shirt noir, regard bleu et fébrile derrière ses fines lunettes. Palme d'or pour Dancer in the Dark en 2000, il revient en compétition avec Antichrist, joué seulement par deux acteurs, l'Américain Willem Dafoe et la Française Charlotte Gainsbourg. Lui est psy et emmène sa femme dans leur chalet perdu en forêt pour tenter de conjurer leur chagrin après la perte accidentelle de leur enfant. Un couple bergmanien qui nous entraîne non pas dans une relecture de Scènes de la vie conjugale mais plutôt dans l'univers sombre du cinéaste danois. Explications.

LE FIGARO. - L'histoire de votre nouveau film tient en quelques lignes. Où nous entraîne-t-elle ? Du côté du fantastique, des forces du bien et du mal, de la guerre des sexes, de la religion ? Lars VON TRIER. - Sans doute le spectateur pourra y trouver tous ces éléments. Pour ma part, il est difficile de le dire dans la mesure où j'ai laissé parler mon imagination, mon instinct plus que mon intellect, en donnant pas mal de liberté aux acteurs. Le script ne fait que soixante pages. Cela peut sembler bizarre, mais c'est la première fois que je ne parviens pas à décrire réellement mon film. Je me trouvais dans une profonde dépression, il y a deux ans. C'était très dur, et il a été pour moi comme une ­thérapie.

Cette dépression a-t-elle gêné ou au contraire renforcé la conception du film ? Je n'avais pas la force de tenir une caméra, mais je pouvais diriger mon équipe. L'inspiration était toujours là. Elle m'a permis de sortir de cet état léthargique qui m'envahissait. Plutôt que de rester couché à regarder le plafond j'ai travaillé et le film est le résultat de cet effort. Ce n'est pas pour cela qu'Antichrist est un film plus sombre que les autres. Il renvoie à mes premiers longs-métrages, comme Element of Crime (grand prix de Cannes en 1984, NDLR).

Antichrist est-il un film de genre, thriller mystique ou romantique, film d'horreur ? Je n'ai jamais réussi à faire un film de genre pur parce que j'ai toujours tendance à y ajouter quelque chose de personnel, que ce soit dans un mélodrame, comme Breaking the Waves, ou une comédie musicale, comme Dancer in the Dark. Antichrist est, je crois, très romantique, proche de l'univers d'Edgar Allan Poe.

Selon l'apôtre Jean, l'Antéchrist est celui qui renonce aux paroles du fils de Dieu et déteste le monde. Est-ce votre cas ?

Non, pas du tout. (Rires.) J'ai retenu ce titre en pensant au livre de Friedrich Nietzsche L'Antéchrist. Imprécation contre le christianisme que je n'ai jamais fini de lire depuis l'âge de 12 ans et qui était toujours sur ma table de chevet… En fait, je me sens plus proche de mon compatriote August Strindberg qui a beaucoup écrit sur la guerre des sexes. Il était paranoïaque et s'était rendu à Paris pour se soigner chez un médecin, le docteur Jacobsen, qui fut aussi celui du peintre Munch. Strindberg voulait rencontrer Dieu, ce qui était optimiste de sa part… Je n'en suis pas encore là ! Ma religion, c'est le cinéma.

Vous ne croyez pas en Dieu ?

Je ne suis pas sûr. C'est un sujet délicat, qui prend parfois le temps d'une vie. Ne m'entraînez pas sur ce terrain-là. J'essaie vraiment de croire, mais, pour moi, les religions ont été inventées par les hommes eux-mêmes et non par Dieu.

Vous citez justement Le Cri de Munch à propos de votre film. Pourquoi ?

Parce que cette composition est proche de ce que j'ai ressenti en le réalisant. J'y ai puisé toutes mes peurs et mes émotions.

Vous empruntez également des extraits de Rinaldo, l'opéra de Händel. On dit que le cinéma, c'est la vie, le reflet de la réalité. Qu'en pensez-vous ?

Je me souviens d'avoir vu Le Miroir, d'Andreï Tarkovski. Ce fut une révélation. Le cinéma se nourrit de la vie et aussi de la ­religion.

Pourquoi avez-vous choisi Charlotte Gainsbourg ?

J'ai fait quelques auditions, notamment avec Eva Green, mais son contrat était trop compliqué. Charlotte Gainsbourg s'est imposée en s'investissant beaucoup dans le projet. C'est une personne très timide. Nous n'avons pas beaucoup parlé mais elle a immédiatement adhéré au film. De manière générale, j'ai toujours préféré diriger les actrices plutôt que les acteurs.

» Antichrist, drame de Lars von Trier avec Willem Dafoe et Charlotte Gainsbourg. Durée : 1 h 40. Sortie : le 3 juin.

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