mardi 26 mai 2009

Les Belges craignent la guerre des religions

Plus de six citoyens sur dix redoutent une tension accrue avec l'Islam. Fort sentiment d'insécurité religieuse. Les convictions peuvent être critiquées. Dans le respect.

Le sentiment d'insécurité religieuse a gagné l'esprit de plus de 6 citoyens sur 10 en Belgique. C'est l'un des principaux constats de notre sondage sur l'attitude des Belges face aux religions... Un pessimisme qui tranche avec l'attitude globalement modérée face au phénomène religieux : la majorité se prononce pour une critique respectueuse des religions et tolère (même quand ils sont athées) la présence manifeste de signes religieux dans l'espace public...

Un regard critique apaisé. Près de 6 citoyens sur 10 admettent la critique envers les religions. A condition de « respecter absolument les convictions des croyants », ce qui limite nettement le champ du possible. Près de 40 % affichent une position moins mitigée : 23 % « sacralisent » carrément le religieux, refusant toute forme de critique (deux fois moins qu'en France) et 16 % revendiquent une attitude résolument critique (près de trois fois plus qu'en France !).

Eric de Beukelaer, le porte-parole francophone des évêques de Belgique, affirme que ces résultats lui font plutôt plaisir. « Si toutes les religions sont critiquables, il y a en effet une limite, une sorte de ligne rouge à ne pas franchir, entre le fait de critiquer et de blesser quelqu'un dans ses convictions. Au-delà de la loi, cela doit être une sorte de déontologie, que les Belges possèdent d'ailleurs. »

Son de cloche pas radicalement différent du côté du Centre d'action laïque (CAL) et de son président, Philippe Grollet. « Seuls 23 % des Belges estiment que l'on ne peut pas critiquer les religions. Cela dit, c'est 23 % de trop ! Toutes les idées sont critiquables... ou alors on considère qu'elles se valent toutes, et il n'y a plus de débat. Simplement, pas question de traîner les gens dans la boue. »

« Raisonnable, l'opinion majoritaire des Belges est le résultat de l'histoire d'un Etat apaisé sur le front religieux, relève Abdelmajid Mhauchi, militant du Collectif Présence musulmane. La guerre entre catholiques et laïcards remonte au siècle dernier. Le pays a intégré le principe de liberté de conscience. En tant que musulman, le fait que l'islam soit l'objet de critiques ne me gêne pas. La discorde est un art, aux yeux de l'islam. C'est la moquerie, la provocation que je réprouve, cette manière de construire la haine de l'autre. »

Des signes religieux tolérés. Près de 6 citoyens sur 10 acceptent l'intrusion des signes religieux dans l'espace public. Ceux qui plaident le confinement des manifestations extérieures d'appartenance religieuse sont minoritaires (36 %), mais proportionnellement plus nombreux à Bruxelles (45 %) qu'en Flandre ou en Wallonie (35 %). « Ici aussi, intervient Eric de Beukelaer, le bon sens triomphe. La séparation entre l'Eglise et l'Etat est claire en Belgique, mais notre laïcité permet à chacun de conserver ses opinions et de les exprimer dans les limites du bon sens. Et c'est très bien ainsi. »

Pour Philippe Grollet, l'intitulé de la question aurait gagné à être affiné. « S'agissant des signes extérieurs de religiosité dans la rue, cela ne me pose pas de problème. En revanche, j'estime que ceux qui incarnent l'autorité publique - magistrats, policiers, enseignants... - doivent être parfaitement neutres ! »

« Il n'y a pas laïcité, mais neutralité de l'Etat, insiste Abdelmajid Mhauchi. On ne peut nier la conviction profonde d'un individu au nom du respect de l'espace public. Mais la neutralité suppose évidemment une équidistance des convictions dans la sphère de l'Etat. La Constitution accorde une liberté d'expression dans la sphère publique et privée. Cette liberté n'est pas absolue : l'expression prosélyte, militante, doit être sanctionnée, mais dans l'esprit d'une neutralité tolérante. »

Une tension croissante. Plus de 6 sondés sur 10 pressentent une intensification des tensions entre chrétiens et musulmans (plus qu'en France)... Les hommes flamands se montrent les plus pessimistes. Une minorité (7 %) estime que les tensions vont baisser : ces optimistes sont proportionnellement plus nombreux à Bruxelles (12 %).Philippe Grollet craint qu'à court terme, l'on assiste à une coalition d'intérêts entre extrémistes de tous bords. Mais avec une perspective d'apaisement, à terme.Le porte-parole des évêques, lui, dit comprendre la crainte de la population. Mais « le piège serait de faire un conflit de religions de ce qui m'apparaît avant tout comme un enjeu géopolitique. Ce qui est inquiétant, c'est le conflit entre l'Occident et une certaine vision politique, théocratique de l'islam ».

« Le pessimisme des Belges est paradoxal, eu égard aux réponses mesurées apportées aux deux premières questions, relève Abdelmajid Mhauchi. On sent bien que l'opinion est sous l'influence de la tension fabriquée par certains intérêts sectaires, tant au sein de l'islam que de la chrétienté. C'est l'effet du prétendu axe du mal et des tensions provoquées par les pouvoirs dictatoriaux en place dans certains Etats musulmans... Une stratégie de tension qui ne reflète absolument pas notre vécu : en Belgique, il n'y a pas de crispation entre les musulmans et les chrétiens. »

Le Soir

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