L’enquête du procureur de la République avait abouti à un non-lieu. Le tribunal de grande instance a annulé cette décision et renvoyé l’écrivain devant les tribunaux. Ce matin, il se fera représenter à l’audience par son avocate. Il a une bonne excuse : il est pris par un colloque sur “L’Europe XXL” organisé à Lille par Martine Aubry…: « On a tout de même le droit de critiquer la religion dans un Etat laïque ! dit-il. Or il s’agit de toute évidence d’un délit d’opinion. Espérons que le jour où la Turquie sera intégrée à l’Union européenne, un procès tel que le mien sera impossible ». Il est vrai qu’entre temps, ça s’est envenimé ; la Diyanet (Direction des affaires religieuses), institution d’Etat qui n’est évidemment pas fondée à émettre un avis sur un roman, a discrètement rédigé un rapport accusant l’écrivain de blasphème. Le tribunal, qui n’en demandait pas tant, n’en a pas moins joint le rapport au dossier. L’écrivain a eu beau souligner la dimension allégorique de son histoire, il sait qu’il a touché un point sensible : le verset 40 de la sourate Al-Isra :
« Quoi ? Votre Seigneur vous aurait-il octroyé des fils et aurait-Il pris, pour Lui, des filles parmi les anges ? Quel horrible blasphème dites-vous là ! »
Nedim Gürsel en convient : « C’est une blessure : le prophète n’a jamais eu de descendance mâle. Mais ce n’est pas une provocation d’en parler : la Turquie n’est tout de même pas une théocratie ! » Un romancier peut-il appuyer là où ça fait mal sans passer pour blasphémateur ? Un test de plus pour une Turquie sous surveillance. En attendant, une pétition de soutien circule et des collègues universitaires se rangent à ses côtés. De son côté, Nedim Gürsel a adressé une lettre ouverte au Premier ministre turc. Il y reprend ce qu’il expose avec finesse, exigence et de bonheur dans son dernier livre La Turquie. Une idée neuve en Europe (157 pages, 15 euros, Editions empreinte/Temps présent). On y lit la fierté d’être turc, de se revendiquer francophile et de se sentir profondément européen. Les trois, dans cet ordre, dans l’âme.
Ces jours-ci, tandis que se tiendra son procès à Istanbul, Nedim Gürsel participera, au colloque de Lille, à une table ronde sur “Penser en plusieurs peuples ?” ainsi que l’écrivain italien Claudio Magris résume le dilemme d’une Europe où la carte des nations ne coïncide pas avec celle des Etats.
(”Nedim Gürsel” par John Foley/ Opale)
source : http://passouline.blog.lemonde.fr
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire